Eurêka ! Dimitri Vazemsky a retrouvé son texte écrit après Kortrijk Congé

Publié le par LE VIVAT

WE CAN BE HEROES- Kortrijk Congé © Davy De Pauw

Eurêka !

Je viens de retrouver le texte écrit juste après Kortrijk Congé, je commençais même à douter de l’avoir écrit, comme si la mémoire du temps d’écriture, ici à l’ordinateur, dans l’atelier, ne marquait que peu la mémoire, un temps où mon corps chorégraphié par l’esprit dictant, joue des doigts sur 26 touches lettrées et quelques chiffres et diacritiques.

Je sentais pourtant la perte, me souvenant de l’avoir écrit pour pouvoir partir en vacances, l’esprit libéré. Ecrire libère.
Et surtout l’écrire pendant qu’il était encore chaud. À attendre trop le corps refroidit et le texte devient rapport d’autopsie.

Je l’ai enfin retrouvé, caché dans des textes du Projet Lettercamp. Je commence à le relire mais, immédiatement, m’arrête. Aux premiers mots.

Le lire va me replonger dans cet instant.
Moi qui, croyant l’avoir perdu pour de bon, me proposait de réécrire un texte six mois plus tard, voir ce qu’il en restait… J’ai retrouvé le texte mais pas la mémoire contenue dans ces lignes que je vais relire après. Après avoir posé ici ce qu’il en reste….

Le départ de Kortrijk, les bus, les pommes distribuées, une glace achetée, parfum oublié. Defoort croisé, devant les toilettes. Bus parti, radio difficilement captable, accompagnant le convoi. La route de campagne. A posteriori il faudrait rejouer la surprise de la panne, et l’organisation s’installant. Vu d’ici cela paraît gros, nous étions le premier chariot du convoi, nous aurions pu partir, laisser le groupe… cela ne m’était pas venu à l’esprit à ce moment-là…

Les coffres s’ouvrant, bières, guitares et cie. Les camions s’ouvrant, jacuzzi, bars. Le vélo diffusant des vidéos dans la grange, assis sur la paille… me souviens d’un travelingue en moto dans paris. C’est tout.

Le rapatriement par hélicoptère. Les menus avec ou sans viande. Les répétitions de We Can Be Heroes, sur cette route de campagne. Puis la performance au milieu du champ. Je fais des photos, étranges lumières, à la nuit tombante. Fasciné par le play-back, par l’offrande de corps à la musique, se prétendant origine et non pas consommateur, simple danseur. La source des paroles. Singée. Mais étrangement le résultat est touchant, selon les « interprètes », muets. Juste leur corps essayant de porter avec plus ou moins de conviction selon le répertoire. Hypnotisé des fois, par ce hiatus. Hypnotisé quand justement ce hiatus est infime.

Voilà ce dont je me souviens, y ajoutant les ballons lanternes évoluant dans les champs de betteraves. Voilà ce dont je me souviens. Et l’ayant posé, maintenant je peux relire mon texte premier.

Et voir ce qui, depuis, a changé, dans la forme et le fond.

Me remémorer sans doute, aussi, l’oublié. Retranscrit.

Et m’apercevoir que l’écriture permet de me déplacer à l’intérieur de moi, pour retrouver des endroits. Les délaissés, victimes du temps, sédimentant et ne gardant que les grosses ficelles du souvenir pour animer le pantin du temps passé.

Ecrire permet de conserver les radicelles infimes, les étincelles, perçues, en mots conservées.

Chers Parents,
 
Je suis bien arrivé, finalement, mais le voyage fut mouvementé, vous ne devinerez jamais… tout fut parfait jusque Kortrijk, un voyage normal, en Belgique… pour preuve voici les propos qui s’échangeaient dans le bus… «  On est déjà en Belgique ? C’est si près d’Armentières ? Ben oui regarde tout est écrit en flamand, des fois y’a deux « o», deux « e», deux « u »… Dis donc c’est propre ! …Et c’est vraiment différent tout de suite ! …C’est vraiment bien entretenu aussi, ça fait moins ouvrier ! Ah les belges et leur maison c’est quelquechose… Tiens regarde là : « Te koop », ça veut dire « A vendre » et « Te Huur » « A louer » et puis regarde là-bas sur les panneaux y’a des fois les deux noms des villes, un en français et un flamand, enfin des fois… parce que si t’es sur l’autoroute et que tu cherches « Lille » tu peux chercher longtemps si tu sais pas que ça s’écrit « Rijsel »… »
 
Le voyage, donc, commençait bien. Normal quoi…
 
Tout se compliqua après la pause sur le parking d’Appel à Kortrijk où j’ai néanmoins eu le temps de manger une bonne glace au spéculoos. Apparemment tout le monde s’était donné le mot d’ordre et le départ en congés fut collectif, on roulait au pas, une file d’au-moins deux cents voitures, peut-être plus… A l’avant du bus, le chauffeur a sorti la télé bien cachée dans le plafond, je me suis demandé ce qu’on allait bien voir comme film et quand l’image est apparue, en fait, on voyait sur l’écran la route défilant devant le bus…
 
Tout se compliqua vraiment quand cette grande file de voitures, suivant une déviation, se retrouva dans un petit chemin de campagne, et qu’un des véhicules, un camion nous a-t-on dit, tomba en panne. Une histoire de radiateur. La petite route de campagne était si étroite que tout le monde fut bloqué, impossible de doubler, ni de sortir… Les moteurs furent coupés. Le mal pris en patience. Et c’est là, dans cette attente, que certains commencèrent à maugréer et d’autres à s’installer. L’un sortant un ukulelé du coffre et jouant sur le bas-côté, un autre enchaînant avec une jolie voix de haute-contre. D’autres sortirent des chaises, une table pliante et commencèrent à servir l’apéritif, quelques chips et biscuits. Un type qui avait du vin français dans sa voiture commença à vendre ses bouteilles à l’heure de l’apéro… On était bel et bien coincé et apparemment pour longtemps dans cet énorme bouchon de congés simultanés.
 
Dans certaines voitures on entendait la radio qui en parlait, et les choses à l’extérieur apparemment s’organisaient.
Un type qui testait pas très loin un vélo projecteur qu’il avait bricolé lui-même avec un moteur autonome se rechargeant en pédalant, essayait son vélo et rejoignit le bouchon : tout le monde voulut voir ça ! Il s’installa dans la grange d’une ferme voisine, que le fermier avait laissé ouverte, et le vélo projeta un court-métrage de Lelouch, un travelling complet dans paris en moto, le tout projeté du vélo…  C’est à ce moment-là que l’on attendit le bruit des hélicoptères, arrivant au dessus des champs, il se posèrent non loin, dans une prairie, avec plus de mille plateaux repas, prévus pour un festival voisin, et apportés ici d’urgence, car personne n’avait vraiment prévu cet aléa. Cette panne.
 
Moi-même j’avais épuisé tout mes économies dans la glace au spéculoos, espérant retirer à l’arrivée du bus dans un distributeur… distributeur qui là, en pleine campagne, faisait grandement défaut… un peu sauvé par le ravitaillement par hélico qui fut gratuit et qu’une cousine, vous savez Nina, elle aussi était bloquée un peu plus haut dans le bouchon, m’offrit une boisson…
 
Dans un tournant de la route quelques personnes s’étaient mises à organiser un spectacle, l’idée leur était venue de diffuser des chansons des hauts parleurs d’une voiture  et faire du playback dessus. Pas du karaoké mais du play-back. Au départ le concept n’était pas fait pour m’emballer, je trouve ça un peu dénigrant, malsain, de n’être qu’un corps qui singe un chanteur, juste le corps, coincé dans la musique, la bouche s’ouvrant sur les paroles d’un autre : la bouche s’ouvrant, mais en silence. Ta gueule ! L’autre chante…
 
Un peu de la chair à canon, encore que dans un canon chacun chante et le décalage de la mélodie évite l’unisson de la masse qui fait mouton… suivant la musique qui marche au pas, qui moi ne me regarde pas… enfin vous voyez ce que je veux dire… c’était presque étrange de voir un spectacle où le corps seul est convoqué, sans aucun droit de parole : c’est peu considérer la personne. Tous, en plus, chantant la même chanson… non choisie ! L’individu gommé dans l’hymne ! Mais bon, hypnotisé par une « chanteuse » qui le faisait très très bien, si bien que l’on pouvait croire que c’était elle qui chantait, et finalement l’illusion suffisait… ai trouvé ça intéressant et joli, dans ce champ, de bouses parsemées, à la tombée de la nuit.
 
Un croissant de lune tombant, mordoré, sur la campagne flamande. C’était beau.
Bon après y’a eu d’autres choses mais je vous raconterai tout au retour, le camion fut réparé vers minuit et tout le monde est reparti dans sa voiture, en file indienne, et à bon port.
 
Des bisous à vous et à mémé !

Oui j’avais oublié le parfum de la glace au speculoos.

Ecrire sert à ça.

Même si, au final, je me demande si je me le suis remémoré ou si c’est simplement la lecture qui me réactiva le souvenir, particulier, avec le goût, générique, de glace au spéculoos.

Ce générique,

qui est au souvenir précis,

ce que le chant est au play-back.

Dimitri Vazemsky (> vazemsky.com). Texte à retrouver dans ses versions française et néerlandaise sur le site du projet Trottoirs, www.trottoirs.eu

Publié dans Traces

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